Scènes du miroir

Le « monde d’après » s’écrit ici et maintenant. Il se vit et s’écoute en juin lors du festival et de l’académie de l’Ircam. Manifeste pour la jeune génération libérée de l’autorité des aînés ; manifeste pour l’électronique émancipée de sa tutelle instrumentale ; manifeste pour la musique orchestrale et d’ensemble, révélée, métamorphosée par la technologie ; manifeste pour le concert sans l’astreindre à « faire spectacle » à tout prix et à moindre coût.

À l’affiche de l’édition 2021, la musique dans le miroir de l’image, dans le miroir de la fiction, la musique dans son propre miroir lorsqu’elle reflète une ascendance lointaine. Brice Pauset remonte et démonte Vertigo d’Alfred Hitchcock en dialogue avec l'installation Infinite Screen de Arotin & Serghei, Yan Maresz scrute Paris qui dort de René Clair et Mayu Hirano déchiffre Une page folle du cinéaste Teinosuke Kinugasa. Le Cursus de l’Ircam s’accorde à celui de l’École des Beaux-Arts de Paris pour la première chaire Supersonique : des étudiants qui s’ignoraient jusque-là, inventent un atelier commun, des techniques partagées, le pouvoir de dire « nous », d’écouter-voir.

Le miroir, c’est aussi le dispositif par lequel la création musicale, devenue répertoire, se dote d’une généalogie : mémoire de la polyphonie de l’Ars Nova chez Philippe Leroux, mémoire des canons de Palestrina dans Mirror Stage de Bernhard Lang par ailleurs inspiré de Lacan, plis baroques et responsoriaux de la Renaissance pour Répons de Pierre Boulez. En clôture de ManiFeste, cette oeuvre-somme conserve sa force d’une première fois. « Voici les solistes, voici l’espace, voici l’électronique, voici la spirale. » Pas d’autre rhétorique que le geste musical qui embrase toute la salle de concert.

Si l’image fait écran, les musiques-fictions renouvellent précisément le genre de la pièce radiophonique, écoutée collectivement ! Au texte toute l’intelligibilité ; à la musique, un espace à soi. Avec Florence Baschet et le roman de Lydie Salvayre, Gérard Pesson et Marie Ndiaye, Daniele Ghisi et Maylis de Kerangal, le studio est devenu un outil d’écriture partagée, où s’agencent une fiction, la création musicale et l’écoute immersive.

L’Imaginaire, le Symbolique et le Réel. À cette célèbre trinité de la psychanalyse, ManiFeste-2021 répond, en miroir : le pouvoir de l’image, la puissance certaine du langage, le réel inassignable qu’est la musique.

Frank Madlener, directeur de l'Ircam

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